Lutte contre la pauvreté

 Une goutte d’eau dans la mer
 
Nombreuses sont les organisations caritatives et sociales à oeuvrer pour venir en aide aux plus démunis. Pourtant, le fruit de ces efforts reste minime en l’absence de stratégie gouvernementale.
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Hausse des prix prévue par l’Etat juste après le référendum et statistiques prouvant que le taux de pauvreté dépasse les 44 % de la population. Mille et une raisons justifient l'ouverture du dossier de la pauvreté en ce moment.

Nombreuses sont les associations qui tentent d’alléger le fardeau de la pauvreté qui pèse sur les familles. Pourtant, ces initiatives semblent ne pas pouvoir se substituer à l’Etat qui doit s’attaquer à la racine du mal. Certaines associations sont parvenues à trouver des solutions pratiques pour de nombreuses familles qui vivent dans la précarité. « Merci mon Dieu, je n’aurai plus besoin à l’arrivée de l’hiver d’aller mendier de la viande ou une couverture. Aujourd’hui, je possède une vache dont je consomme le lait et le beurre, et le surplus je le vends pour subvenir aux besoins de ma famille », confie Nassib, un habitant de l’oasis Al-Farafra, dans le désert occidental.

C’est grâce aux efforts déployés par l’association Al-Hossari que le niveau de vie de Nassib a pu s’améliorer. Plusieurs autres ONG tendent la main aux pauvres aux quatre coins de l’Egypte. Des études sociologiques ont été effectuées pour recenser les cas et sélectionner ceux qui sont prioritaires. « Transformer la charité en un moyen de développement est devenu notre objectif, après avoir donné beaucoup d’argent à des milliers de pauvres. Nous avons remarqué qu’ils étaient capables de travailler et de gagner leur vie, mais qu’ils ne savaient pas à qui s’adresser », explique Mohamad Fouad, responsable de la communication à l’association Al-Hossari. Cette association caritative a constaté, comme beaucoup d’autres de par le monde, que les aides financières directes n’étaient pas une vraie solution, parce que la personne retombe dans le besoin une fois l’argent épuisé.

Au contraire, aider en investissant dans une activité, c’est permettre à quelqu’un de couvrir ses besoins de manière durable, puisque la personne se retrouve avec un moyen réel de gagner de l’argent et, éventuellement, de faire des bénéfices.

Al-Hossari accorde des microcrédits à des personnes qui veulent se lancer dans l’élevage de volaille, de bovins ou d’ovins, ou bien loue une parcelle de terrain à ceux qui maîtrisent l’agriculture. « Je n’aurais jamais été capable d’acheter une vache. Une vache coûte 10 000 L.E. L’association m’a aidé à devenir un petit investisseur, et je n’ai plus besoin d’aller travailler comme journalier dans les terres des autres », ajoute Nassib.

Aujourd’hui, Nassib a pu prendre en location un feddan de terre agricole pour 500 L.E. par an afin de nourrir sa vache grâce aux lupins qu’il y cultive. Et si à la fin de la saison, la récolte s’avère fructueuse, il vendra le surplus et l’argent gagné contribuera à payer le loyer de ce feddan. Ses 4 enfants sont scolarisés, bien nourris et les premières nécessités sont couvertes. Nassib espère même élargir son micro-projet, en achetant plusieurs génisses afin d’avoir plus tard l’opportunité d’en vendre une.

Al-Hossari tire ses fonds de donations. Le nombre de bénéficiaires dépend directement de la générosité des dons. « Nous rencontrons énormément de problèmes à cause de la crise financière. Celui qui pouvait nous faire don de 10 000 L.E. ne peut aujourd’hui nous en donner que 5 000 », dit Mohamad Fouad.

 

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« L’esprit du donateur a changé »

Nombreuses sont les associations caritatives qui oeuvrent dans cette même voie et qui dépendent toutes essentiellement des dons pour fonctionner. Plusieurs ONG, à l’exemple de Misr Al-Kheir, Al-Ormane et évidemment Al-Hossari, sont convaincues que l’Etat brille par son absence quand il s’agit des pauvres. « L’esprit du donateur a changé. Il veut voir que son soutien financier contribue à résoudre un problème à la racine. Il ne veut plus fournir une aide alimentaire momentanée qui renvoie le pauvre à sa vie misérable dès la dernière bouchée avalée », explique Bahaa Al-Wessimi, membre à l’association de Misr Al-Kheir.

La mosquée de Moustapha Mahmoud est la pionnière dans ce domaine. « Moustapha Mahmoud est ce médecin illustre qui a introduit dans son association l’usage d’équipements médicaux avant même que l’hôpital de Qasr Al-Aïni ne le fasse. Il a pu transformer le concept de charité pour en faire un outil de développement, tout en attirant l’attention sur l’importance de la santé et en aidant les plus nécessiteux à pouvoir se soigner gratuitement », explique un ancien employé de l’association de Moustapha Mahmoud. Il ajoute que l’objectif de la mosquée de Moustapha Mahmoud était de soigner les pauvres pour qu’ils puissent retourner au travail et gagner leur vie décemment.

Des caravanes médicales dépendant de cette institution se rendaient dans les régions les plus dépourvues de soins médicaux pour examiner jusqu’à 5 000 cas en 3 jours, y compris procéder à des interventions chirurgicales. Toutes les consultations étaient gratuites et les médecins travaillaient bénévolement. Mais le projet périclite depuis la mort de Moustapha Mahmoud en 2009.

Misr Al-Kheir est un autre exemple. Cette association fournit des produits alimentaires pour 15 000 personnes âgées en Haute-Egypte. Un choix qui a été bien étudié. Selon la Banque mondiale, 60 % des pauvres d’Egypte habitent le sud. « Autrefois, les projets de développement de l’Etat étaient concentrés dans la capitale et le Delta. La Haute-Egypte, avec ses nombreux villages, a toujours été marginalisée. Citons en exemple les cours d’eau. Les habitants y puisent pour boire alors qu’en même temps ils y lavent leur linge et leur vaisselle. C’est à la fois inacceptable et inhumain », déclare Bahaa Al-Wessimi.

Selon lui, ces projets non gouvernementaux portent leurs fruits. Mais, comme ils dépendent étroitement des dons, ils risquent de se détériorer ou de s’arrêter en l’absence de dons ou de la personne qui est à l’origine du projet.

Une attention particulière

De son côté, l’Etat fait depuis toujours de grandes déclarations disant que la pauvreté est l’une des ses priorités et qu’il accorde une attention particulière aux pauvres. Mais sur le terrain, rien n’est fait.

 

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Résultat : le taux de pauvreté ne cesse d’augmenter. Galal Amin, éditorialiste et économiste, explique que la classe moyenne s’est transformée graduellement en classe défavorisée. Le simple fonctionnaire ne peut plus joindre les deux bouts et a besoin de recourir à des aides.

« Hélas, le problème de la pauvreté doit être attaqué à la racine. Il n’existe aucune stratégie pour éviter que les enfants ne quittent l’école pour aller travailler. Aucun projet n’a été créé par l’Etat pour offrir des opportunités de travail à cette tranche de la population », remarque Mossaad Ewiss, sociologue.

La population occupe uniquement 6 % de la superficie du pays. Selon Ewiss, un plan de décentralisation pourrait permettre de donner du travail à la main-d’oeuvre des villages et des hameaux reculés. Il y a un mois, l’Etat annonçait un plan de développement de 151 villages, avec un budget de 1 milliard de L.E., et qui va s’étaler sur 3 ans. Une goutte d’eau dans l’océan des projets à mener, et qui aura certainement moins d’impact isolément que si elle faisait partie d’un plan d’ensemble du lutte contre la pauvreté.

« Les projets vont réduire le taux de pauvreté, et les ONG vont sensibiliser l’opinion publique et pousser les gouvernements à travailler dans ce sens », fait remarquer Nada Darwich, membre du Centre du contrat social. Mais d’après le Programme des Nations-Unies pour le développement, malgré tous les projets lancés sur le terrain, la pauvreté ne va pas disparaître du monde de sitôt.

Un avis partagé par les responsables de l’association Aalachanek ya baladi (pour toi mon pays). « Nous avons réussi à créer des offres d’emploi pour plus de 25 000 personnes qui vivent dans les bidonvilles, et à les transformer en petits entrepreneurs », indique Rama Maher, responsable des relations publiques à cette association. Mais ce parcours est long car la formation de chaque individu, jusqu’à ce qu’il soit autonome, demande du temps.

Iman Beibars, qui travaille dans le domaine de l’action sociale depuis 1985, pense que l’Etat doit tout particulièrement accorder la priorité aux pauvres après la révolution. Elle insiste sur le fait que l’absence de stratégie globale à l’échelle du pays prive les pauvres des ressources de l’Etat.

Les pauvres ne profitent, en effet, pas de l’argent de la zakat (aumône) dont le montant total s’élève à 30 milliards de L.E. par an. Mais il est partagé entre la maintenance des mosquées et les tables de charité.

 

Dina Bakr  19-12-2012

 

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