La mission "Scan Pyramids" : quels enjeux ?

 

"Il n'est pas impossible, écrivait au XIXe siècle Ernest Breton, membre résidant de la Société nationale des antiquaires de France, que la Grande Pyramide renferme d'autres chambres et d'autres galeries qu'on n'a pas encore trouvées.”

Cette question, que l’on qualifie de “mystère” ou “énigme”, est ainsi, depuis des lustres, au coeur des hypothèses plus ou moins solidement échafaudées des chercheurs en “pyramidologie” égyptienne. Les moyens d’analyse mis en oeuvre pour étayer ces “conjectures” ont été et demeurent souvent limités à la logique constructive que l’on pense être celle des anciens Égyptiens, compte tenu de données topographiques aujourd’hui encore observables, d’indices repérables à l’oeil nu à l’extérieur et à l’intérieur des édifices et de ce que l’on connaît des techniques et matériaux à la disposition des bâtisseurs de l’époque.Mais comment savoir - enfin ! - si la pyramide de Kheops et les autres monuments identiques majeurs de l’Ancien Empire renferment des espaces - chambres, couloirs ou rampes -, ne disons pas “secrets”, mais inconnus de nous jusqu’à ce jour ? Comment lire dans leurs “entrailles” autrement que par des déductions aussi logiques que possible, ou par l’imagination, aussi fertile soit-elle ?

Pour répondre à cette question qui taraude inlassablement les esprits, le plus simple, le plus expéditif serait de démonter ou démolir ce qui pourrait l’être pour tenter d’aller voir ce qu’il y a derrière le mur de notre ignorance. D’aucuns y ont pensé. D’autres, à une époque où l’égyptologie n’était pas basée sur une véritable éthique, s’y sont essayés. Sans résultats réellement concluants. 

 

C’est dans cette dynamique d’une recherche qui n’a pas encore dit son dernier mot, mais avec des techniques non invasives, non destructives, qu’une mission égypto-internationale (“Scan Pyramids”) vient d’être mise en place pour étudier certains aspects encore non identifiés de la structure interne de quatre pyramides à Dahchour et sur le plateau de Giza. Elle présente la particularité de conjuguer trois techniques exploratrices complémentaires : la thermographie infrarouge, la radiographie par muons, la photogrammétrie (scanner et reconstruction 3D).

L’objectif de cette mission est exclusivement “scientifique”, laissant aux chercheurs en “pyramidologie” le soin d’interpréter par la suite des données établies avec l’objectivité et la certitude que permettent les techniques ultra-modernes mises en oeuvre.

 

Quels sont les enjeux ? Outre une acquisition de données jusqu’ici impossible, ils se résument évidemment dans la validation - ou invalidation - de certaines théories, hypothèses ou reconstitutions du chantier de construction des pyramides faisant appel à des espaces intérieurs non directement identifiables, au seul regard.

Les exemples brièvement mentionnés, entre autres théories, ci-dessous sont relatifs à la pyramide de Kheops, car elle représente le dénominateur commun de l’ensemble des hypothèses concernées.

Il en est ainsi de la théorie de Gilles Dormion (et Jean-Yves Verd'hurt), selon laquelle il existerait une pièce inconnue dans la Grande Pyramide de Kheops, plus précisément sous la chambre de la Reine, théorie apparemment étayée par des mesures géoradar, réalisées en 2000 par la SAFEGE, dont les résultats auraient indiqué la présence d'une structure d'environ un mètre de largeur (2 coudées), orientée dans le sens est-ouest et dont le toit se trouverait environ à 3,50 mètres de profondeur.


Cette théorie a connu une variante avec Jacques Bardot et Francine Darmon qui ont porté leurs investigations sur le couloir horizontal menant à la chambre de la Reine, en mettant en évidence un maquillage sophistiqué des pierres des parois, à partir de faux joints creusés à la scie à pierre, rebouchés avec un mortier de plâtre et de gypse, destinés à masquer la véritable distribution des pierres et à dissimuler probablement l’accès à une chambre funéraire, pour l’instant inconnue, qui pourrait être la véritable Chambre du Roi.


La théorie de Dormion-Verd’hurt a été reprise par l'égyptologue Jean-Pierre Corteggiani, directeur des relations scientifiques et techniques de l'Institut français d'archéologie orientale (IFAO) jusqu'en 2007. Selon lui, il suffit de regarder une coupe de la pyramide de Kheops pour constater que ni la chambre souterraine, restée inachevée, ni la Chambre du Roi (ayant subi un grave problème tectonique lors de l'aménagement des cinq chambres "de décharge") ne pouvaient accueillir la dépouille momifiée du pharaon. La chambre funéraire devait (doit) être ailleurs. D'où sa conclusion :" La seule possibilité, s'il y en une, ne peut se trouver qu'au voisinage de la 'Chambre de la Reine' et en liaison avec elle.”

Tout en reconnaissant son “incompétence” en matière d'architecture funéraire de l'Ancien Empire, l’égyptologue Jean Yoyotte écrivait que “certaines constatations sur les espaces, les aménagements intérieurs des pyramides, faites par Gilles Dormion correspondent à des réalités”. Puis il ajoutait : “Ce qui est audacieux et discutable, ce sont les conclusions qu'il en tire, et surtout le fait qu'il annonce qu'il va retrouver les 'trésors' de Khéops. Cette manière de prendre l'Audimat à témoin avant toute discussion approfondie entre spécialistes qualifiés est une fâcheuse caractéristique de notre époque." Il concluait enfin : "Il se peut qu'on découvre [dans la Grande Pyramide] un magasin, une chambre annexe [à la Chambre du Roi] qui contenait des meubles (...). Des chambres aveugles existaient. Peut-être y a-t-il encore des chambres qui, en effet, n'ont pas été découvertes."


Autre théorie appliquée à la seule Grande Pyramide et faisant référence à une structure interne : celle de l’Italien Elio Diomedi. Il ne retient l'idée, pour hisser les blocs de pierre, ni de la rampe verticale, ni des machines inspirées d'Hérodote. Selon lui, une rampe parallèle au flanc de la pyramide a été utilisée pour le transport des blocs jusqu'à une hauteur de 15 mètres. Ensuite, la rampe s'enfonçait à l'intérieur de la pyramide en forme de spirale ascendante, comme un gigantesque escalier en colimaçon le long du périmètre intérieur de l'édifice. Ces galeries internes furent progressivement rebouchées au terme du chantier.

L’ingénieur italien Marco Virginio Fiorini développe, quant à lui, l’hypothèse d’une "pyramide interne" qui explique le "tracé volumétrique" indispensable à la construction d’une pyramide finale (“externe”) aux lignes parfaites. Selon lui, le volume global de la pyramide “interne” représente 90 % du volume de la pyramide finale. Ses façades sont parallèles à la “peau” de cette pyramide “externe”, avec un intervalle de 3 m. Une rampe en spirale, d’une largeur de 3 m, est construite au fur et à mesure que s’élève la pyramide “interne” et n'entrera en fonction qu'à partir de 60 m, utilisée pour le transport des matériaux et les déplacements des ouvriers, jusqu’à la hauteur finale de la pyramide “interne” (138 m). Parvenue à cette hauteur, et flanquée de sa rampe enveloppante, la pyramide “interne” va alors trouver l’utilité finale pour laquelle elle a été construite, à savoir servir d’appui et de repère pour la construction de la “peau” de la pyramide définitive en pierre de Tourah.  

Le recours à des systèmes hydrauliques, avec les volumes intérieurs qu’ils nécessitent, est suggéré par plusieurs chercheurs. C’est notamment le cas de l'Américain John J. Williams. 

Selon lui, des rampes ont été nécessaires pour la construction de la pyramide de Khéops jusqu'au niveau du plancher de la Chambre de la Reine. Puis, pour la suite du chantier, jusqu'au sommet de l'édifice, il fait intervenir un ascenseur (ou élévateur) hydraulique "enseveli" dans le corps de la pyramide et situé sur une verticale entre la Chambre de la Reine et celle du Roi.

Le parcours du plateau mobile de l'ascenseur va de la Chambre de la Reine, où il est chargé des blocs de pierre, des outils et des ouvriers ou même des animaux du chantier, jusqu'à l'assise supérieure en cours de construction où descendent les ouvriers et où sont déchargés les blocs qui sont ensuite transférés horizontalement, sur des traîneaux, jusqu'à leur emplacement définitif.

Autre système hydraulique : celui préconisé par le Britannique Chris Massey, qui rappelle par maints aspects celui développé par Manuel Minguez. Le principe, a priori, est simple : pourquoi dépenser de la force humaine alors que les bâtisseurs égyptiens disposaient d’un atout dynamique à leur portée immédiate, à savoir le Nil ? En arrimant au-dessus des blocs de pierre un assemblage adéquat de matériaux légers et flottants, ces blocs bénéficieront eux aussi du phénomène de flottaison. Il suffira de les tirer ou de les pousser pour les déplacer, sans efforts conséquents. Pour les hisser le long d’une pyramide en construction, l’auteur a toujours recours au principe d’Archimède en imaginant une succession d’écluses, d’ascenseurs à eau et de retenues d’eau entre deux paliers de la construction. À l’évidence, dans ce schéma constructif, le système complexe mis en place ne pouvait que laisser des traces dans la structure de l’édifice : renforcements, aménagement d’espaces étanches, qualité des blocs utilisés...

Récemment, Michel Michel a rendu publique sa théorie portant à la fois sur la structure interne de la Grande Pyramide (“systématiquement constituée d’une pyramide à degrés, une structure interne résultant d’un empilement hétérogène de blocs extraits des carrières locales, sans aucun soin particulier”) et sur le dispositif mis en place, selon lui, par les bâtisseurs égyptiens pour la construction de rampes externes dont les matériaux furent ensuite intégrés dans le revêtement de l’édifice : “Puisque le dessus de chaque degré devra recevoir de la maçonnerie, écrit-il, c’est en maçonnerie que je préconise de fabriquer les rampes de la pyramide. On pourrait ensuite déplacer une partie des blocs de la rampe pour la transformer en maçonnerie complémentaire, (...) le volume de la rampe (étant) identique au volume de la maçonnerie complémentaire.”

Comment ne pas mentionner également Zahi Hawass, ex-ministre des Antiquités égyptiennes ? Celui-ci, en maintes occasions, a répété sa conviction de l’existence d’une chambre funéraire dans la Grande Pyramide, différente de la “Chambre du Roi”. Pour étayer sa théorie, il a mis en place, à grand renfort de suspense médiatique, des opérations d’investigation au coeur de la pyramide, via les conduits dits “d’aération” de la Chambre de la Reine, à l’aide robots fureteurs.

 

À son instigation, dans les années 90, le “Projet Upuaut”, 2 robots successifs équipés d’une caméra (Rudolf Ganterbrink, Rainer Stadelmann et le Deutsches Archäologisches Institut), puis, en 2002, “Pyramid Rover” (National Geographic Society), et enfin, en 2010, le “Projet Djedi”, un robot de la 3e génération, (université de Leeds, la firme de robotique Scoutek et le leader mondial en univers virtuels 3D Dassault Systèmes).

Hormis un petit vide de 14cm de profondeur en bout des conduits, une barre de sondage métallique, des "poignées en cuivre" et quelques traces (sans doute des marques de maçon), la moisson n’a pas été à la hauteur des espérances.

 

Nous citerons enfin la démarche de l’architecte Jean-Pierre Houdin, dont il n’est plus besoin de présenter la théorie basée sur la mise en oeuvre de deux processus pour la construction de la Grande Pyramide : une rampe extérieure pour environ la moitié de la hauteur, soit jusqu'à 85% du volume, et une rampe intérieure, partant elle aussi de la base, pour la partie supérieure, le parement de façade étant mis en place définitivement au fur et à mesure de la construction. Intérêt complémentaire de cette théorie : elle recycle les composants d'un des deux processus, à savoir les blocs utilisés pour la rampe extérieure qui sont réutilisés pour la partie supérieure.

Il est indispensable d’ajouter que, selon Jean-Pierre Houdin, cette “logique” (l’auteur apprécie particulièrement ce mot) constructive s’applique aux quatre grandes pyramides lisses de la IVe Dynastie, avec néanmoins la nuance suivante : la rampe intérieure peut avoir un parcours différent dans chacune des pyramides, en fonction de la pente des faces, de la disposition intérieure des chambres et couloirs ou encore de la topographie. 

Ainsi, dans ladite “logique” reconstituée, avec des pentes supérieures à 51°, Kheops et Khephren, auraient toutes les deux une rampe en spirale, mais ne tournant pas forcément dans le même sens.

La Rhomboïdale, dont la partie inférieure est à plus de 54°, aurait une rampe en spirale, qui se transformerait en rampe en zigzag courant le long d'une diagonale dans la partie supérieure à 43°.

La Rouge, enfin, avec sa pente à 43°, devrait avoir deux rampes en zig-zag en "miroir" inversé (comme des escaliers mécaniques de grands magasins) courant le long d'une diagonale dont les entrées se trouveraient à la base de deux arêtes opposées, la Sud/Est et la Nord/Ouest, la position de ces entrées étant liée à la topographie.

Tels sont donc les enjeux d’une mission scientifique menée hors de tout a priori et de toute cabale. Une fois connus et mis en forme, les résultats, quels qu’ils soient, seront diffusés, révélés au grand jour. Peut-on penser qu’alors les majestueuses pyramides égyptiennes auront “dit” leur dernier mot ? Laissons pour l’heure les scientifiques opérer en toute sérénité et “humilité, comme aime à le répéter Mehdi Tayoubi, président-fondateur de l’Institut français HIP (Heritage, Innovation, Preservation), dans le champ de compétences qui est le leur. Il restera ensuite aux égyptologues et spécialistes de ces monuments d’interpréter le langage de la pierre qui sera mis à leur disposition. Souhaitons dans le même souci d’objectivité.