Raed Abd el Ghany

Quelle est la différence entre tanoura et derviche ?  
On appelle derviche toute personne qui tourne sur elle même, ils peuvent être originaires de Syrie, Turquie, Egypte …   
C'est une discipline spirituelle au départ, les personnes la pratiquant ne sont pas dans l'idée d'une performance. Ils respectent l’austérité qui incombe au soufisme. Ce n'est pas un spectacle.  
  
Tanoura est la traduction de « jupe » en langue turque. C'est l’appellation qui a été reprise en Egypte car il s'agit de la pièce la plus importante du costume derviche, la plus voyante, car la performance de tanoura est avant tout un show en Egypte.  
  
Les couleurs des jupes de tanoura ont-elles une signification ?
A l'origine le costume des derviches est blanc. En Egypte, les différentes confréries ont voulu se différencier les unes des autres, exprimant ainsi la différence d’interprétation de leur religiosité, en adoptant une couleur différente.
A une époque, que je ne saurai préciser, les confréries ont souhaité se rassembler pour la célébration du Mouled et à cette occasion, afin de signifier leur fraternité, ils ont eu l'idée de fabriquer un seul tanoura qui reprenait chacune de leur couleur. Ce tanoura a été envoyé à la Mecque.   
  
Les derviches tels qu’ils sont présentés dans les spectacles principalement pour touristes se considèrent-ils comme appartenant à la confrérie Soufie ?  
Ah oui ! vous parlez certainement du spectacle Wakala El-Ghouri du bazar ! Et bien sachez qu'il s'agit de danseurs professionnels issus de la troupe nationale Al Tanoura, fondée par un de mes maître Bondok. Les membres n'appartiennent pas à la confrérie soufie, en tant qu'artistes ils interprètent juste la tradition égyptienne. J'ai eu la chance de travailler avec cette troupe et ce spectacle vaut vraiment le déplacement !

As-tu un rapport avec le soufisme ? As-tu étudié le soufisme ?  
Je ne suis pas soufi mais j'ai beaucoup lu à ce propos car c'est un courant important de ma religion qui repose sur des pratiques artistiques. J’inclus d'ailleurs quelques mouvements soufis lors de mes performances.  
  
Qu’est ce qui t’a motivé à pratiquer cette « danse » ?  
Depuis tout petit, j'ai toujours été fasciné par le spectacle des tanoura. La musique, les couleurs, la performance en elle même … tout cela me faisait « tourner la tête » !!! Puis lorsque j'ai eu l'occasion d’intégrer la troupe d'Hassaan Saber j'ai eu un déclic devant la maîtrise et l'aisance de ce danseur. D’ailleurs, je vous conseille de ne pas le manquer si vous avez l'occasion de venir au Caire.

Est-ce que tu te rappelles ton premier costume tanoura ?  
Oui bien sûr ! J'ai longtemps réfléchi aux motifs, couleurs et matières que je souhaitais. J'ai étudié la mise en scène et l'ambiance que je voulais faire ressentir au public. Cela passe également par le design du costume. Lorsque je regarde la plupart des danseurs tanoura actuels, l’esthétisme ne me parle plus. J'ai l'impression que c'est la guerre pour avoir le design le plus fou, d’essayer de se différencier au maximum en ajoutant des lumières par exemple ! Mais je crois que c'est un peu la même chose chez les danseuses orientales !!!   
  
Comment se passe l’apprentissage physiquement (à l’intérieur du corps) ?  
La première semaine d’entraînement fût la plus difficile. J'allais au théâtre à 10 heures et le quittais à 22 heures. Je tournais dix minutes et m’arrêtais dix minutes. Je rentrais chez moi le soir étourdi, malade, nauséeux, c’était vraiment dur.  
  
La semaine suivante les symptômes avaient disparus mais je me forçais quand même car l’entraînement était toujours aussi ardu. Au bout de six mois j’avais bien progressé et étudié toute la technique.
Quand je dis que c'était difficile, vous devez savoir que lors du premier mois d'apprentissage bon nombre de danseurs abandonnent car leur corps ne suit pas, ou le manque de motivation ne leur permet pas de s'accrocher.  
  
Pour ma part j'ai toujours été soutenu par mes professeurs Tareq El Megely, Ehab et Hakim.  
  
Combien de temps peux- tu tourner ?  
Combien de temps pouvez-vous supporter de me voir tourner ????  
  
La musique est-elle imposée ? Sinon, sur quelles musiques aimes-tu tourner ?   
Lorsque j'ai eu mon contrat au Nile Maxim, j’ai du me trouver une musique car les troupes avec lesquelles je dansais précédemment avaient des morceaux bien travaillés, à la note près.
J'ai donc eu la chance de collaborer avec les meilleurs orchestres, ceux de Randa Kamel et Asmahan notamment et j’ai pu leur demander des orchestrations en corrélation avec les émotions que je souhaitais partager avec le public.   
Ces musiciens m'ont permis de créer la musique que je cherchais en vain. Ils ont réussi à faire prendre forme à mes différentes envies, j'aime tourner sur de la musique instrumentale. L’enchaînement des taksim soutiennent mes différentes interprétations : par exemple le violon pleure comme un bébé, le tabla accentue la force et la virtuosité ou encore le nay qui induit l'idée du soufisme, la spiritualité, l'aérien.   
  
Aujourd'hui bon nombre de tanoura utilisent, à leur compte et à mon insu, la composition musicale que j'ai crée, j'en déduis qu'elle doit être bonne !   
Je voudrais ajouter que mon expérience de danseur a donné un plus à mon style et à mon interprétation du tanoura. L’entraînement au ballet m’a appris à prendre conscience de mon corps, de son positionnement dans l'espace et je dois au folklore l'aisance de l'expression de mes bras et de mes mains ainsi que l'endurance et l'originalité des mes pas et déplacements.  
  
Quel est ton parcours professionnel ?  
J'ai commencé à danser en 1995 en intégrant l'école nationale des danses folkloriques au Caire (Kaomeyya) et j'y ai appris les différents styles de folklores, le ballet classique et le ballet de caractère. Deux ans plus tard j'ai été repéré par mes professeurs Hassan Ibrahim, Ali Gaber et Kamal Naeem et j’ai intégré la troupe professionnelle. A partir de là, j'ai découvert et appris la mise en scène, la présence, les déplacements de groupes …
J'ai alors dansé sur les plus prestigieuses scènes d'Egypte accompagné des meilleurs orchestres. Cette même année j'ai commencé ma carrière internationale en dansant dans de nombreux festivals avec la fierté de représenter mon pays (des Etats-Unis en passant par l’Argentine, l‘Europe, l’Inde et de nombreux autres)  
  
En parallèle, j'ai continué ma formation et c'est à ce moment là que j'ai débuté le Tanoura. Jusqu'à lors la troupe faisait appel à des prestataires pour la danse tanoura. J'ai été le premier danseur à présenter ce numéro en plus de danser sur le même spectacle.  
Je suis également un des seuls danseurs à avoir pu danser tout le programme d'affilé ! Ce n'est pas mon ego qui parle mais pour l'amour de la danse, j'ai toujours accepté de danser sans à priori à n'importe quelle place. C’est sans doute pour cette raison que j’ai été promu soliste  par mes professeurs.

 
Comment se déroulent les entraînements au sein de la troupe nationale ? Quelles en sont les fréquences ? Les impératifs ? Les conditions ?  
Les entraînements ont lieu trois fois par semaine et sont obligatoires. Ils commencent par deux heures de ballet puis des exercices techniques puis nous dansons plusieurs fois toutes les chorégraphies en changeant nos places. Les garçons répètent avec plusieurs professeurs dont Osama Emam et les filles sont entraînées par Mona Mostafa, entre autres. Je pense que c'est un rythme correct qui permet d'évoluer sans trop se fatiguer musculairement.
Lors de la préparation de spectacles nous pouvons répéter quotidiennement avec des horaires complètements différents de ceux qui sont notés sur nos contrats, mais c'est ça aussi l'Egypte !

Avec la troupe que j'ai crée en France, j'essaie de maintenir le même type de planning mais les danseuses acceptent moins facilement le dépassement d'horaires….  
  
Que propose ta troupe ?  
La troupe que j'ai crée avec ma femme Liz est une occasion de partager nos connaissances et notre passion avec des danseuses réellement impliquées et qui respectent notre art. Nous avons recruté 7 danseuses d'origines diverses (française bien sûr mais également espagnole, portugaise, marocaine, luxembourgeoise, algérienne …) qui mettent un point d'honneur à défendre les folklores d'Egypte.  
Nous proposons des spectacles lors de divers événements (concerts, mariages, salons, festivals …) et sommes accompagnés parfois par des musiciens professionnels. Différents styles sont dansés par la troupe : Saïdi, Fellahi, Ghawazee, Mambouty, Haggalah ...  
  
Tu travailles désormais en Europe en individuel, constates tu une différence de réactions du public par rapport au monde oriental ?  
Depuis que je danse et que j'enseigne les danses folkloriques, j'ai toujours perçu de la part des européens et plus particulièrement des Français, une grande curiosité sur les origines ethnologiques de cette discipline. Leurs interrogations sur l'historique, la géographie et les faits culturels liés à la danse elle-même, aux costumes et aux accessoires utilisés sont toujours très nombreuses et pertinentes. Les orientaux ont l'habitude de voir ce type de performance et donc n’y prêtent moins d'attention. En revanche, ils sont plus réactifs que les européens notamment lorsqu'il s'agit d'applaudir !  
  
As-tu des anecdotes à nous raconter ?  
Je me souviens, en Angleterre, d'un médecin venu assister à notre spectacle qui m'a interpellé à la fin en me proposant le tarif que je voulais pour me soumettre a des expériences. Il voulait m'ouvrir le crane et étudier le fonctionnement de mon cerveau !!!
 
Lors d'un spectacle au Canada, mon manager a été approché par le directeur artistique du cirque du soleil qui souhaitait me recruter pour leur prochain spectacle. A cette époque je ne parlais pas du tout anglais et je n'ai pas compris de quoi il retournait. Mon manager s'est bien gardé de me traduire la proposition.